Quand le "Vieux plomb de la semaine" rencontre l'actualité...
Figurez-vous qu'aujourd'hui dimanche 6 novembre, nous (quoique pour ma part, cela reste tout de même très théorique), nous, donc, célébrons la Saint-Léonard ! Une commémoration illustrée fort à propos par l'un de ces proverbes dont je mets quiconque au défi de faire usage dans une conversation courante "A la Saint-Léonard, tout la vermine part !"
Mais commençons par le commencement... la "menue choseite de plon" du jour...
L'objet se présente donc comme une plaque rectangulaire munie de quatre annelets de fixation permettant de coudre l'insigne sur le vêtement ou le chapeau. La partie supérieure de l'enseigne adopte la forme d'une tour à créneaux soutenue par des étais à ses extrémités.
Le décor historié figure saint Léonard à senestre (la droite pour vous), faisant un geste de bénédiction de la main droite et tendant la main gauche vers un personnage barbu et hirsute, apparemment nu, agenouillé devant lui. Dans le champ, entre les deux personnages, apparaît une paire de ceps ou entraves, motif que l'on retrouve également au-dessus de la main bénissante du saint.
Au-dessus de la scène, se développe une légende qui indique aussi bien l'identité de saint ici honoré que le nom du sanctuaire où fut réalisée l'enseigne : S : LEONARD.
Avant d'expliciter le sens de cette image, intéressons-nous à la figure sainte ici mise en exergue...
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Vie des saints, par Richard de Montbaston Saint Léonard devant Clovis XIVe siècle |
La tradition fait ainsi de ce Leonardus de Noblat le fils d'un seigneur franc et cousin de Clovis, éduqué et converti au christianisme par saint Rémi. Après une brève carrière de haut dignitaire, et brûlant du désir de se consacrer entièrement à Dieu dans la solitude, Léonard choisit de quitter la cour pour intégrer le monastère de Micy (Loiret). Il voyagea quelques temps dans le Berry, s'attachant à son oeuvre de d'évangélisation et de conversion, avant de se fixer dans la forêt de Pauvain où il construisit un oratoire et une cellule. Théodebert Ier (v.504-548), roi d'Austrasie, lui donne alors de vastes terres en remerciement d'un miracle qu'il aurait opéré à l'égard de la reine, menacée de mourir en couches. De nombreux frères vinrent se joindre à l'ermite à la renommée grandissante, donnant ainsi naissance au monastère de Noblat.
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Tombeau de saint Léonard, collégiale Saint-Léonard-de-Noblat Présence d'entraves en ex-voto. |
De ce même souverain, Léonard, que le petit peuple appelait Liénart, reçu le droit exceptionnel de remettre en liberté certains prisonniers en remerciement de la charité qu'il déployait pour le soulagement des captifs. Au Moyen Âge, la notion de prison désigne en premier lieu la capture d'une personne (chevalier ou soldat sur le champ de bataille, croyant en pèlerinage, etc.) et, par extension, l'état qui en résulte : la captivité. Saint Léonard répond principalement aux prières d'hommes injustement emprisonnés et endurant un emprisonnement pénible et coercitif.
Léonard, mort en 539, devint ainsi le patron des prisonniers et le saint libérateur par excellence. Voragine rapporte ainsi que "tout prisonnier qui invoquait son nom se trouvait aussitôt délivré, en souvenir de quoi il offrait les chaîne de ses mains et de ses pieds." Ces offrandes traditionnelles sont notamment évoquées par l'ex-voto aujourd'hui conservé au-dessus du tombeau du saint ermite (cf. Voragine : "Et l'énorme quantité de chaînes qu'on voit, aujourd'hui encore, suspendues en ex-voto autour de sa tombe, suffisent à prouver combien il a opéré de miracles en faveur des prisonniers").
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Vue du chevet de la collégiale Saint-Léonard-de-Noblat Xie - XVIe siècle |
La collégiale Saint-Léonard-de-Noblat fut érigée au XIe siècle pour abriter les reliques du saint et accueillir le nombre croissant de pèlerins venus de Saint-Jacques-de-Compostelle.
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Bras reliquaire de saint Léonard Bois doré et argenté - H.48 cm XVIIIe (socle moderne) cons. Collégiale Saint-Léonard |
Ce n'est qu'à partir du XIVe siècle et à la faveur des premières ostensions des reliques du saint, que le sanctuaire commença la production d'enseignes de plomb et autres souvenirs de pèlerinages dont les croyants pouvaient faire l'acquisition en témoignage de l'accomplissement du pèlerinage sur la tombe de saint Léonard.
L'enseigne ici présentée et conservée au MNMA appartient à un ensemble significatif de pièces similaires conservées dans différents musées et collections d'Europe.
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Enseigne de pèlerinage : saint Léonard Alliage de plomb et d'étain moulé - H. env. 43mm cons. Musée Carnavalet, n°351 © Anne-Sophie Lesage-Münch |
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Enseigne de pèlerinage : saint Léonard Alliage de plomb et d'étain moulé - H. env. 51mm cons. Musée Carnavalet, n°350 © Anne-Sophie Lesage-Münch |
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Enseigne de pèlerinage : saint Léonard Alliage de plomb et d'étain moulé - H. env. 29mm cons. Musée Carnavalet, n°353 © Anne-Sophie Lesage-Münch |
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Enseigne de pèlerinage : saint Léonard Alliage de plomb et d'étain moulé - H. env. 39mm cons. Musée Carnavalet, n°352 © Anne-Sophie Lesage-Münch |
Ces enseignes, réalisées dans un alliage de métaux vils (plomb et étain), furent produites et/ou vendus par les autorités ecclésiastiques en charge du sanctuaire de Saint-Léonard-de-Noblat. Elles témoignent du développement de l'industrie des souvenirs de pèlerinage en plomb à partir du XIIe siècle mais également d'un certain essor de l'activité commerciale du sanctuaire de Saint-Léonard auXVe siècle.
Leur première caractéristique distinctive réside dans leur forme, celle d'une tour crenelée, motif qui, dans l'iconographie médiévale, permet d'évoquer symboliquement la prison et la captivité.
La scène fait directement écho au patronage de saint Léonard, puisqu'elle figure l'ermite, nimbé et tonsuré, délivrant un prisonnier de ses chaînes.
La répétition du motif des entraves permet de matérialiser ce mouvement de la délivrance tout en évoquant les ex-votos présents dans le sanctuaire et peut également renvoyer à l'attribut iconographique traditionnel du saint. La posture du prisonniers signifie, quant à elle, aussi bien la prière du captif invoquant l'intervention de son patron que l'action de grâce de celui qui vient d'être libéré, voire celle du pèlerin. Ce schéma appartient à l'iconographie traditionnelle du saint depuis la période médiévale et caractérise la plupart des enseignes de pèlerinages en plomb issues du sanctuaire de Noblat.
Si l'enseigne du MNMA a recours au seul motif de l'entrave pour signifier la libération du captif, d'autres, comme montrées supra, privilégient celui des chaînes rompues, comme en témoigne, entre autre l'enseigne du musée Carnavalet n°350.
L'apparence de l'homme agenouillé suffit ici à signifier son statut de prisonnier. Nu, barbu et hirsute, il s'apparente à l'Homme Sauvage, figure récurrente de l'iconographie, notamment, médiévale, cet être entre deux mondes, celui de la société des hommes et celui des esprits de la Nature ; il évoque également la figure du vilain, du pauvre, et au-delà du fou, voire de l'hérétique, autant de personnages exclus de l'humanité civilisée par leur condition ou par punition.
L'hirsutisme, et la pilosité, associé ici à la nudité, expriment visuellement cette exclusion du monde courtois et traduisent une conception coercitive de la prison. La privation de liberté, l'enfermement physique et sa pénibilité (nourriture, hygiène) entraînant chez le captif une forme de régression de l'Homme civilisé et, par extension, de la présence divine.
Enfin, il convient de souligner que, au-delà de l'illustration du patronage du saint, la notion d'emprisonnement désigne ici également l'hérétique, l'incroyant ou le pécheur, condamné à vivre dans la solitude (puisque hors de Dieu et de l'Eglise) et étranger à la Vérité divine (une forme de folie), et que seule la conversion peut délivrer.
Les enseignes de pèlerinage de Saint-Léonard-de-Noblat loin de n'être que les monuments d'une pratique commerciale lucrative propre à diffuser l'image et le culte du saint, permettent d'aborder la question de l'enfermement à l'époque médiéval et de sa représentation dans l'art .
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Bible. Saint Paul en prison et le soldat chrétien Arles - BM - ms. 0001 / f.506v 3ème quart du XIIIe siècle © IRHT |
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Le Testament, Jean de Meung Antéchrist envoyant le pape et les cardinaux fidèles en prison 2ème quart du XIVe siècle Besançon - BM - ms. 0579 / f.022 © IRHT |
La répétition du motif des entraves permet de matérialiser ce mouvement de la délivrance tout en évoquant les ex-votos présents dans le sanctuaire et peut également renvoyer à l'attribut iconographique traditionnel du saint. La posture du prisonniers signifie, quant à elle, aussi bien la prière du captif invoquant l'intervention de son patron que l'action de grâce de celui qui vient d'être libéré, voire celle du pèlerin. Ce schéma appartient à l'iconographie traditionnelle du saint depuis la période médiévale et caractérise la plupart des enseignes de pèlerinages en plomb issues du sanctuaire de Noblat.
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Saint Léonard et un prisonnier Bois peint et doré - H.53 cm XVIIIe siècle cons. Eglise paroissiale Saint-Pierre-du-Queyroix, Limoges |
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Saint Léonard de Noblat Calcaire polychrome - H.81 cm XVe siècle cons. Eglise paroissiale Saint-Manvieu (Calvados) |
Si l'enseigne du MNMA a recours au seul motif de l'entrave pour signifier la libération du captif, d'autres, comme montrées supra, privilégient celui des chaînes rompues, comme en témoigne, entre autre l'enseigne du musée Carnavalet n°350.
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Vie des saints, enluminé par le Maître de Fauvel XIVe siècle |
L'hirsutisme, et la pilosité, associé ici à la nudité, expriment visuellement cette exclusion du monde courtois et traduisent une conception coercitive de la prison. La privation de liberté, l'enfermement physique et sa pénibilité (nourriture, hygiène) entraînant chez le captif une forme de régression de l'Homme civilisé et, par extension, de la présence divine.
Enfin, il convient de souligner que, au-delà de l'illustration du patronage du saint, la notion d'emprisonnement désigne ici également l'hérétique, l'incroyant ou le pécheur, condamné à vivre dans la solitude (puisque hors de Dieu et de l'Eglise) et étranger à la Vérité divine (une forme de folie), et que seule la conversion peut délivrer.
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Woohoo renaissance!!
RépondreSupprimertoujours limpide et documenté... tu vois que tu les aimes, tes bouts de bidules en plomb.
(par contre, la main en or, je suis certaine d'avoir vu un truc de ce genre au sex shop du coin...hum, désolée)
On devrait peut-être suggérer à Amnesty int. de faire siennes ces menues "choseites" ou d'imprimer des T-shirts à l'effigie du saint ?.....:)
RépondreSupprimerbis:Tu noteras,que Liège,ville de "grand enchaînement" avait un quartier St Léonard,autour de l'ancienne prison ...un signe ?...:)))
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