ban_1

ban_1

mardi 20 mars 2012

Primus tempus - Printans - Printemps


Un peu de renouveau dans ce monde de brutes.

Le 20 mars, jour du plantoir (tout le charme rustique du calendrier révolutionnaire...), marque comme vous le savez le début du printemps dans notre hémisphère. Alors pour célébrer cette régénération en marche, je vous propose l'image suivante :

Chien poursuivant un lièvre (détail de la bordure inférieure)
Bréviaire franciscain - ms.0004, f.319v
prov. Milan / v.1430
Bibliothèque municipal de Chambéry

Pourquoi, me direz-vous ? Certes, rameaux fleuris et choux romanesco ne sont pas sans évoquer ici les beautés de la Nature au sortir de sa léthargie, mais les manuscrits médiévaux foisonnent de représentations sans doute plus éloquentes... Non. Le véritable enjeu du présent billet est en réalité ce lièvre, saisi ici dans le mouvement bondissant de la course car tentant d'échapper aux crocs du chien qui le poursuit.


Au Moyen-Âge, le lièvre a mauvaise réputation, au point qu'il fera parfois l'objet d'interdits alimentaires, ce bien qu'étant un gibier de choix pour la "petite chasse" des paysans.
Coupe attique à figures rouges (Inv. IV 3698)
Début du Ve siècle av. JC
Kunsthistorisches Museum, Antikensammlung, Vienna, Austria
La faute aux naturalistes de l'Antiquité qui a force d'observations et de portraits plus ou moins fantasmés ont offert du grain à moudre aux théologiens, toujours en quête de symboles pour dénoncer les vices humains. Pline l'Ancien (Histoire Naturelle, VIII, 218) initie ainsi la tradition de la "multiplication des anus du lièvre", curiosité anatomique qui, sous la plume de Clément d'Alexandrie, notamment, fera du lièvre le symbole de l'homosexualité. [On évitera cependant d'appliquer cette conception à l'interprétation de certaines peintures de vases grecs figurant un amant offrant un lièvre, mort ou vif, à son aimé. Le signification du don renvoie ici davantage au thèmes de la chasse, de l'habileté et de la conquête]. 

En outre, le lièvre est réputé sexuellement hyperactif, sa période d'accouplement pouvant excéder les sept mois. N'hésitant pas à couvrir la hase en pleine gestation, le lièvre brille par sa lubricité, offrant aux fidèles de nombreux exemples de comportements prohibés par l'Eglise. 
Les nombreuses curiosités anatomiques du lièvre, parmi lesquelles la nature particulière de ses organes sexuels, incitèrent en outre savants et exégètes à en faire un animal hermaphrodite. Les bestiaires médiévaux diffusent ainsi l'idée selon laquelle le mâle changerait de sexe quatre fois par ans contre huit fois pour la femelle. On raconte également que le lièvre peut porter comme la hase, une ambiguïté qui rendra le mâle susceptible de pondre des oeufs ! 
Dès l'Antiquité tardive donc, le lièvre apparaît aux yeux des lettrés comme "le symbole honni d'une sexualité illicite et débridée". C'est pour cette raison qu'on le rencontre parfois aux côtés des vieillards épiant Suzanne au bain ou accompagnant des couples d'amant enlacés. L'animal explicite alors la perversité des personnages ou du moins de leurs intentions.


Le Printemps (détail)
Poésies de Guillaume de Machaut / Maître du Remède Fortune
Français 1586, f.103 - Paris, 1350-1355
©BnF
De la lubricité à la fécondité, il n'y a qu'un pas. Amour charnel fait animal, le lièvre devient dans la mythologie romaine le symbole de l'amour et la luxure, venant s'ajouter au cortège de Vénus et apparaissant ainsi régulièrement dans les scènes de Triomphe de l'Amour. Philostrate explique à ce sujet que : "Les amours n'attaquent pas le lièvre à coups de flèches car ils tâchent de s'en emparer vivant, pour l'offrir à Vénus, présent qui lui plaît entre tous. Vous n'ignorez pas, j'imagine, ce qu'on dit du lièvre : qu'il possède le don de Vénus à un degré extraordinaire." (Imagines, I, 6)
En terres germaniques, la divinité prend le nom d'Ostara, déesse de la lumière naissante, de l'aurore et du printemps ; en Grande-Bretagne, elle est Easter, déesse de la fertilité et de la régénération de la Nature ayant ici encore le lièvre pour animal emblématique. On la célèbre à l'équinoxe de mars en enterrant un mannequin de paille sensé fertiliser les germes en terre. 

Lièvre encadré d'une fleur de lys et d'un épi de blé
Claveaux du portail principal, église abbatiale Sainte-Marie-de-la-Règle
cons. Musée de l'Evêché de Limoges
Dans sa lutte contre les survivances populaires du paganisme, l'Eglise fit donc du lièvre le symbole même de ces croyances naturalistes à éradiquer. La présence du motif dans la sculpture romane est tout à fait révélatrice de ce "plan de communication" où le thème iconographique de la chasse au lièvre signifie la victoire du christianisme sur ces pratiques et dévotions infâmes. 
Aux portails des églises, le lièvre invite le fidèle à rejeter les cultes traditionnels de la fertilité pour reconnaître le Christ comme unique source de vie et objet de foi.
Mais notre "lapin de Pâques", garni d'oeufs en chocolat et dissimulé dans l'herbe haute des jardins, témoigne aujourd'hui encore du maintien de ces traditions pluriséculaires qui firent du lièvre, tantôt bénéfique tantôt néfaste, un symbole de vie, principe d'abondance et de renouvellement.

***

Dans un futur très proche, nous aborderons un autre pan de l'iconographie du lièvre, l'allégorie de la couardise, qui, je vous l'annonce ici, sonnera le retour du vieux plomb de la semaine ! 


2 commentaires:

  1. Super intéressant et ..original, tout en étant "l'article du jour" ! :)

    RépondreSupprimer
  2. très très bien!! par contre, je vais regarder mes lapins de pâques d'un autre oeil...

    RépondreSupprimer

N'hésitez à me donner votre avis et à nourrir notre soif de connaissance !