Et oui ! les oiseaux chantent, mes chats perdent leurs poils et voilà que renaît ma petite rubrique "le tableau du jour" qui fait sur ce blog sa première apparition.... allez, on applaudit pour l'encourager !
Le 15 avril 1452 au coeur de la campagne florentine, dans la bourgade de Vinci, venait au monde un petit Leonard qui allait révolutionner le monde de la pensée et des arts. Pour fêter cet heureux évènement, certains passionnés pourront aller faire un pèlerinage dans les salles du Louvre (pas besoin d'être chômeur puisque ce soir, c'est nocturne au musée !), d'autres se contenteront de ce billet...
Notre tableau du jour sera donc celui-ci, le Saint Jean-Baptiste, toile d'une étrangeté magnétique devant laquelle je finis toujours béatement plantée au milieu de la Grande Galerie.
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Leonard de Vinci, Saint Jean-Baptiste Huile sur panneau de bois - 69 x 57 cm 1513 - 1516 Musée du Louvre, Paris |
Je ne vous parlerai pas de l'effet d'émergence de la figure, de sfumato ou encore de travail de la lumière. Je m'arrêterai simplement sur la figure de saint Jean-Baptiste, le Précurseur, le dernier prophète, patron de Florence et de nombreuses corporations de métiers, notamment des couteliers (la décapitation ça prête à patronage...). Pour bien fixer les esprits, on rappellera simplement que JB prêchait la venue du Messie dans la région du Jourdain, invitant les fidèles à un baptême de pénitence, qu'il opéra le baptême du Christ lui-même et mourut en martyr, décapité sur la demande de Salomé.
Avant, dans l'histoire de la peinture, les représentations de JB c'était plutôt ça :
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Paolo Veneziano saint Jean-Baptiste (détail) peinture sur bois 1354 Musée du Louvre, Paris |
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Giovanni del Biondo Retable de saint Jean-Baptiste Tempera sur bois 1360 - 70 Collection Bonacossi, Florence |
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Lippo Memmi saint Jean-Baptiste Tempera sur bois vers 1325 Lindenau-Museum, Altenbourg |
On gagnait en ermite ce qu'on perdait en jeune pâtre grec... Depuis les premières représentations de l'art paléochrétien, la figure de saint Jean-Baptiste a connu de nombreux types iconographiques : le philosophe, le berger avec sa houlette, le prête de l'Ancien Testament, le martyr, etc. Mais celui qui le définit véritablement dans l'imaginaire collectif, c'est celui de l'anachorète vivant au désert, hirsute, barbu et émacié, vêtu d'une tunique en poils de chameau et mangeant des sauterelles. Pour Pastoureau, cet aspect est présent dans l'art depuis l'époque de Constantin, soit le IVe siècle ; pour Emile Mâle, on doit sa diffusion en Occident au XIIe siècle à la peinture byzantine où le JB ascète est conçu comme un modèle fondamental du monachisme à l'oriental.
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Français 241, f.49v 1348 |
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Geertgen tot Sint Jans Huile sur bois 1485-1490 Gemaldegalerie |
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Florin d'or - XIVe |
Saint Jean-Baptiste se caractérise traditionnellement dans l'art par la présence d'un attribut particulier: l'Agneau. Non pas le charmant bovidé éponyme de notre petite Agnès, mais bien l'Agneau divin, le Christ lui-même, à la fois sacrifié et rédempteur. Il est bien entendu que cette association se fonde sur la célèbre parole de JB voyant le Christ marcher devant lui : "Voici l'Agneau de Dieu" (Jn, 1, 36). Si bien que l'on ne compte plus les différentes adaptations du motif : agneau dans un médaillon (ou plutôt une auréole), Agneau crucifère à l'extrémité d'un bâton, l'agneau présenté sur le Livre, l'agneau réel paissant, etc. Second attribut, et non des moindres, la croix à longue hampe, semblable à celle dont les artistes dotent le Christ lors de la Résurrection.
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Que conserve de cette tradition picturale et exégétique (l'un allant rarement sans l'autre) le saint Jean-Baptiste réalisé par de Vinci ? Plus de pilosité inculte, de silhouette éthique ou de regard exalté. Toute trace d'ascétisme a été effacée. Disparue la tunique en poils de chameau ceinturée à la taille ; la peau de bête s'enroule mollement autour de son corps à la mode antique. Figure juvénile aux boucles cuivrées arborant le sourire de celui qui sait, ce Jean-Baptiste n'est pas simplement un génie des eaux déguisé en saint. Il tient à la main une fine croix de bois qui flotte dans l'ombre et accompagne l'élan du bras. Ce geste vers l'Ailleurs nous le rencontrons déjà dans les représentations antérieures, il signifie le rôle même du prophète : désigner l'Invisible. Danseur à la grâce apollinienne, Jean-Baptiste nous invite à nous déprendre de la beauté de cette apparition pour nous tourner vers le Vrai, le Beau ou le Bon, qu'importe comment vous le nommerez, vers ce qui est de toute éternité, au-delà de l'ombre du monde. Saint Jean-Baptiste devient ainsi une figure archétypale de la métaphysique de la Lumière.
That's all folks !