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vendredi 30 décembre 2011

Exposition "Sorcières. Mythes et réalités"

L'Adresse Musée de la Poste
23 novembre 2011 au 31 mars 2012

© Anne-Sophie Lesage-Münch


Double, double, toil and trouble ;
Fire burn and cauldron bubble. 
(Shakespeare, Macbeth, Acte IV, sc.1)

"L'Europe des Esprits ou la fascination de l'occulte" au musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg, "Les fables du paysage flamand au XVIe siècle : du merveilleux au fantastique" au Palais des Beaux-Arts de Lille, "Von Schönheit und Tod. Tierstillleben von der Renaissance bis zur Moderne " (La Beauté et la Mort. Natures mortes animalières de la Renaissance à l'époque moderne) à la Staatliche Kunsthalle de Karlsruhe et maintenant la sorcellerie au Musée de la Poste de Paris... l'Etrange, le Macabre et l'irrationnel ont le vent en poupe, et ça fait du bien ! 

Ne nous réjouissons pas trop vite cependant... Halloween se mange une main d'ennui devant le scepticisme soupçonneux des français, les têtes de mort envahissent les culottes en coton jaune poussin tandis que les vampires s'appellent Bill et brillent au soleil comme une Barbie Sirène Surfeuse sous les guirlandes du sapin...
De fait, et comme toujours quand il s'agit de connaître et de comprendre, le salut n'est pas dans la démocratisation mais bien dans l'éclectisme et la curiosité. Mais glissons, glissons, ...


***

L'exposition organisée par l'Adresse Musée de la Poste, lieu d'exposition à mi-chemin entre une salle communale et un restaurant d'entreprise, se donne pour objectif de "faire découvrir et comprendre la sorcellerie" non pas tant dans ses principes que par une phénoménologie ma foi assez complète traitant aussi bien de l'image de la sorcière dans les beaux-arts et le cinéma que des procès célèbres ou des supports et des pratiques magiques. L'approche est donc pluridisciplinaire et l'on déplore seulement l'absence d'une section consacrée aux développements littéraires du thème...
L'idée de base est ici de confronter l'imaginaire et la réalité historique de la sorcellerie.

Pourquoi la Poste me direz-vous ? Rappelons tout d'abord que le musée en question fut créé en 1946 et est installé Bd de Vaugirard depuis 1973 ; la salle d'exposition temporaire étant inaugurée en 1989. Il s'agit d'un musée d'entreprise, ayant le label Musée de France, consacré à l'histoire postale et philatélique française... a priori rien à voir avec les "sentinelles de l'Enfer" et autres guest stars du sabbat... Loin de moi l'idée que des expositions de timbres ne font pas vraiment recettes mais la justification présentée dans le communiqué de presse est à vrai dire un peu capillo-tractée : "Sous l'étiquette de musée d'art philatélique, le musée de la Poste présente aussi des expositions à caractère artistique" (mouais...) et " en tant que musée de société - en raison de l'implication des postes dans l'histoire de France - la musée de la Poste présente des expositions temporaires à caractère sociétal. L'exposition Sorcières entre dans ce cadre" (re-mouais...). Le sociétal a bon don mais ne nous en plaignons pas...

Une petite brochure remise à l'entrée de l'exposition, et accompagnée d'une carte postale pré-timbrée (un petit côté "la Poste" dans ce monde de brutes), explicite le parcours conçu par le commissaire d'exposition, Patrick Marchand, docteur en histoire chargé des expositions temporaires à l'Adresse (ce genre de poste dont je ferais bien mon quotidien soit dit en passant...). Le visiteur découvre ainsi les mythes et réalités de la sorcellerie à travers quatre sections

- L'imaginaire de la sorcellerie
- La sorcellerie au cinéma
- La chasse aux sorcières
- Les pratiques magiques

La scénographie, assez peu débridée, se veut didactique tout en suggérant certaines mises en contexte, à la manière d'un musée archéologique et cela se tient assez bien au vue du nombre d'objets estampillés "arts et traditions populaires" présentés. 


Première section : des sorcières et des hommes ou l'intranquillité du "sexe fort"


Misogynie : aversion ou mépris du sexe féminin qui conduit, parfois, à faire de la femme l'agent privilégié du Diable et par extension à la condamner au bûcher. 
Ne nous trompons pas, la figure fondatrice de l'imagerie de la sorcellerie en Occident est bel et bien la femme, suspecte a priori car petite-petite-petite fille d'Eve, vile tentatrice dont la nature idolâtre et perverse nous a collé pour des siècles et des siècles les mains dans la bouse et six pieds sous terre. L'ignorance aidant, la femme est également crainte pour sa puissance procréatrice et toute la fanfare de joyeusetés diaboliques qui l'accompagne : les menstrues, la concordance avec le cycle lunaire et les mystères de la conception et le naissance (donc de la mort)... 
Mais pis ! Non contente de ce patrimoine génétique déplorable et de son essentielle malignité, elle prend un malin plaisir à détourner l'homme, vertueux et craignant Dieu, des sentiers fleuris et paisibles de l'obéissance et de la libido utile. 
Cette vilaine fille, ce mâle contrefait qu'est la femme est donc précipitée au coeur des persécutions de l'époque moderne qui voit dans sa faiblesse de nature la raison de sa soumission au Diable et de sa pratique intensive de la magie et de la sorcellerie. 

Georges Moreau de Tours, Les fascinés de la Charité
Huile sur toile - 1889
Musée des Beaux-arts de la ville de Reims
Claude Bonnefond, La diseuse de bonne aventure
Huile sur toile - 1830
Musée national du château de Compiègne (dépôt du Louvre)
La femme fatale (soit, suivant son étymologie, marquée par la mort) prend ici des formes variées depuis la diseuse de bonne aventure dont ne se lasse pas la peinture du XVIIe jusqu'aux hystériques de Charcot, en passant par des allégories funestes en tous genres et des possédées aux postures impudiques des plus innovantes. 

Louis Maurice Boutet de Mouvel, La leçon avant le sabbat
Huile sur toile - 1880
Château-musée de Nemours
La sorcière prend traditionnellement l'aspect d'une femme flétrie, voire carrément ratatinée, pervertissant les jeunes vierges, emmitouflée sous une tas d'oripeaux imprégnés de suie de chaudron. Et oui, la vieille fait peur, et l'on n'a pas attendu Goya pour cela... Premier critère de suspicion, elle est une femme (voir supra), deuxièmement les marques de son grand âge l'associent à la Mort, enfin, elle est généralement la veuve du coin, celle qui échappe donc au contrôle patriarcal et vit hors des structures familiales traditionnelles. Autant dire qu'elle est une sorte d'antéchrist s'adonnant au point de croix en marmonnant des sortilèges castrateurs.

Cette première section a pour principal objet la figure de la sorcière dans la peinture moderne occidentale. Le propos aurait sans doute mérité d'être étendu aux autres arts ainsi que d'être accompagné d'une explicitation de cette "typologie de la sorcière" (au sens large), qui doit bien avoir ses antécédents dans l'art médiéval ou antique... La plupart des illustrations donnent ici à voir des figures pour le moins académiques de sorcières de contes de fées qui peinent à rendre compte de la fascination que ce type féminin à pu exercer sur les artistes... bref, tout cela manque un peu de Symbolistes et d'enchanteresses pré-raphaëlites... L'histoire et l'histoire culturelle prennent ici visiblement le pas sur l'histoire de l'art. 

Pourtant, un thème est tout particulièrement mis en valeur, celui du sabbat, qui nous plonge au coeur même des pratiques sataniques telles qu'elles furent fantasmées au cours des siècles. Le sabbat est "l'office" par excellence des sectes adoratrices de Satan dont la chrétienté se croit infestée à partir du XVe siècle.
Louis Boulanger, la Ronde du sabbat
Huile sur toile - 1828
Maison Victor Hugo
Au soir du sabbat, le sorcier, ou la sorcière, est appelé par un signe du Malin, un animal funeste (chauve-souris ou papillon de nuit) ou une marque corporelle. Il s'envole nu (éventuellement en esprit) jusqu'au lieu de l'assemblée après s'être badigeonné le corps d'un onguent ou d'une poudre lui donnant la faculté de s'élever dans les airs ; le balai peut parfois être recouvert de graisse d'enfant. On verra également certains adorateurs enfourcher un âne ou un bouc, envoyé par le Diable.
Au fond d'une caverne, sur le sommet d'une montagne ou dans le choeur même d'une église, les adorateurs se rassemblent autour du trône où siège le diable, apparaissant la plupart du temps sous la forme d'un bouc noir. Pourquoi le bouc vous demandez-vous ? Les bestiaires médiévaux le décrivent comme un animal au tempérament hautement libidineux et faisant preuve d'assez peu continence en matière de copulation. On dit ainsi que le bouc a besoin de cent chèvres pour satisfaire son appétit, là où le mouton se contente d'une trentaine de brebis, que son regard oblique et son sang étonnamment chaud trahissent sa nature luxurieuse et infernale. Il est le symbole par excellence de la soumission des hommes et des femmes aux plaisirs de la chair et sera à ce titre le premier sacrifié au jour du Jugement dernier. Bref, il est la mascotte toute trouvée de la dimension démoniaque !
Tels de tendres bambins venus s'asseoir sur les genoux du Père Noël, les sectaires cornus énoncent à leur Maître la liste de leurs principaux méfaits et se voient récompensés en fonction de la noirceur de leur âme. Pour ceux qui auraient rechigné à tourmenter leur congénères, la sentence peut aller de la simple flagellation à la mort par le feu. C'est qu'adorateur du diable, l'air de rien, c'est du boulot... et ça demande une certaine assiduité.
Claude Nozerine, Sabbat à Mabichon
Huile sur toile - vers 1851
Musée Charles de Bruyères, Remiremont
Tout bon sabbat exige également la présence d'un enfant, arraché au sein de sa mère, et voué à Satan. Débaptisé, marqué du signe de la Bête, il doit surmonter une série d'épreuves à défaut de quoi il sera servi en ragoût aux convives. En guise d'ouverture à la cérémonie, chaque participant témoigne de sa soumission au diable en lui baisant lui postérieur... S'en suit une parodie d'office chrétien à base de bénédiction à l'urine, d'hostie noire, de blasphèmes et de serment d'allégeance au démon.
Le rituel accompli, place à la débauche ! Le repas sera tantôt délicat tantôt répugnant (chair de pendus, morceaux de petits enfants, etc.) mais toujours sans sel. Non pas que Satan fasse de l'hypertension mais simplement car le sel était couramment employé par le clergé pour la bénédiction de l'eau et le baptême. En guise de digestion, on s'adonne à toutes sortes de copulations sataniques, entrecoupés de cannibalisme et de danses obscènes. Au chant du coq, les festivités s'arrêtent faute de combattants et chacun s'en retourne se chercher un Alka...

On l'aura compris, les scènes de sabbat, tant littéraires que picturales, sont la mise en oeuvre fantasmée de la transgression des interdits de l'Eglise et, par extension, des tabous les plus fondamentaux des sociétés humaines : anthropophagie, infanticide, orgie sexuelle, etc. Tout ceci n'étant pas vraiment propice à l'instauration de la Jérusalem terrestre ni même d'une communauté fonctionnelle et contente d'elle-même.

Sabbat, sorcières, démons en tous genres, même combat ! Le mythe se nourrit encore et toujours du fantasme, du désir de la transgression et de la tentation de l'abîme, pour donner naissance à une esthétique de la décadence qui révèle aux hommes une puissance dont ils ne sauraient que faire et qu'ils préfèrent oublier.


Seconde section : les sorcières et le septième art


Cette section n'est pas vraiment la plus réussie de l'exposition et ce bien que le propos soit louable.
Une succession d'affiches de films et quelques maquettes de décors visent à évoquer le succès de la figure du diable et de ses serviteurs, en premier rang desquels la sorcière, dans les productions cinématographiques du XXe siècle. Le discours se fait ici un peu vide, se retranchant derrière des images à caractère publicitaire qu'il aurait fallu expliciter : catégories de personnages maléfiques représentées, thématiques, contexte de création...certes, on ne peut pas tout faire en même temps non plus mais le côté "ah, oui, y'a ça aussi" n'est pas hyper satisfaisant d'autant qu'il aurait de quoi faire sur le sujet...

Si le genre fantastique s'est amplement emparé du phénomène, les films historiques ainsi que les comédies ont également su se saisir du sujet, pour le meilleur et pour le pire... J'ai notamment pu constater que le style "sorcière au foyer" de Veronica Lake (I married a witch, par René Clair, 1942) était largement plus séduisant que la nymphomanie hystérique aux relents d'Heineken de Béatrice Dalle... (La Sorcière, par Marco Bellocchio, 1988).

         

Mais soudain... un grand vide.... Quid de Maléfique, de Madame Mim, d'Ursula, de  la Méchante Reine, de la Sorcière du Désert ??? Quid de toutes ses séries qui firent de la sorcière une vendeuse de cupcakes new-age en René Dhéry tripotant gaiement des manuscrits de plus de 1000 ans d'âge ? Quid de Harry Potter ?... bref, on l'aura compris, l'exposé est largement incomplet mais aura le mérite d'initier sinon une réflexion du moins un intérêt pour la chose.

Curieusement, l'exposition se concentre plus particulièrement sur les différentes adaptations du mythe de Faust dont le thème principal, à savoir le pacte avec le diable, est, de fait, essentiellement lié à l'univers de la sorcellerie. Là encore, on accumule les sinopsis sans révéler la substantifique moëlle, le fil directeur du discours. Cette section fournit, au mieux, un début de filmographie germano-franco-anglo-saxonne sur le thème de la sorcellerie, sans véritablement exploiter celui de l'adaptation...

Cependant, et parce qu'il y a toujours un cependant, cette deuxième partie du parcours permet de découvrir un véritable petit joyau audiovisuel, lequel m'était totalement inconnu (oui, bon, c'est pas forcément très compliqué non plus...) : Heksen (Haxän), un film muet suédois de 1922 par Benjamin Christensen conçu en partie comme un documentaire sur l'histoire de la sorcellerie à travers les âges. Une petite salle obscure, calée entre deux Méphistophélès en collants verts, permet d'en apprécier quelques scènes hautement instructives relatives au sabbat des sorcières : baiser au cul du Diable, bébés cuits dans le chaudron, vieilles urinant dans un seau, etc. Outre le caractère euphorisant de ces scènes de débauches joviales au clair de lune version Bosch, je suis restée assez scotchée par la qualité des décors et des effets spéciaux de ce film où les pervers ne sont pas forcément ceux que l'on croit et où le rôle du Grand Bouc est assuré par le réalisateur en personne. 



Mais il est temps à présent de nous quitter... en attendant les nouvelles aventures de votre humble servante au pays des sorcières de La Poste. 

A suivre donc : les grandes affaires de sorcellerie et les pratiques magiques ! ;)




2 commentaires:

  1. Bonne expo, très bon article!
    Me demande, avec le recul, s'ils n'ont pas eu les yeux plus gros que le ventre. Et peu les moyens de leurs ambitions, flagrant en ce qui concerne la partie tableaux. Au final, on voit plein de choses mais avec une impression d'éparpillement. Sans compter que l'ensemble est entièrement tourné vers le passé. Or la sorcellerie n'est pas morte (si on prend l'exemple de la Wicca, on note des principes et des applications similaires mais une imagerie complètement différente, déchristianisée, qui a le mérite de remettre les choses en perspective).
    Et Yves Montant ressemble toujours à Chuck Norris.

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  2. Quel excellent boulot! parce que gros travail ,il y a ,certes... mais on retrouve avec délectation,une même famille de plume et d'humour! BRAVO!!

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