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mardi 12 avril 2011

Le vieux plomb de la semaine



Après dix jours à tourner autour de mon éditeur de texte comme une hyène autour d'une carcasse, se demandant par quel bout l'attaquer, je me décide enfin à redonner un peu de sang neuf à ce blog laissé en jachère depuis bien trop longtemps...

Notre vieux plomb de la semaine n'est autre qu'un méreau de la corporation des boulangers de Paris, conservée au Musée National du Moyen Âge - Thermes de Cluny. Voilà la bête, tadaa !

 

Vous n'êtes pas beaucoup avancés ? ça va venir...
Comme d'habitude, prenons les choses dans l'ordre : que voyons-nous ? Un disque métallique d'un peu moins de 3mm de diamètre (ou bon là, je vous aide) présentant sur ses deux faces un décor historié. 
                Sur la face A est figuré un évêque (chasuble, mitre et crosse) dont la tête est nimbée (signe qu'il s'agit d'un personnage saint) ; de la main droite, il semble présenté un élément sphérique. L'espace est clairement défini : le sol est figuré par une zone de guillochis, des rinceaux végétaux emplissent le champ. Bien... brisons là le suspens, il s'agit de saint Honoré, évêque d'Amiens du VIe siècle et patrons de boulangers.

Miniature - Angers-BM-SA 3390 / f.011
Paris - 1493
Copyright IRHT-CNRS
                Ce patronage trouve son origine dans un récit légendaire, celui du "miracle du fourgon"... Honoré, fils d'une riche famille, aimait à regarder la préparation du pain au cuisine. Un jour, il confia ainsi à sa nourrice son désir de devenir prêtre. Occupée à enfourner son pain, la pauvre femme s'amusa de la déclaration de l'enfant et s'écria : "Tu seras évêque quand ma pelle aura des feuilles !"... les voies du Seigneur étant impénétrables et souvent croquignoles, le fourgon de bois pris racines et se changea en un arbre splendide (tant qu'à faire) chargé de feuilles et de fruits.
                 Il n'en fallait pas plus pour que l'attribut caractéristique de l'iconographie de notre saint devienne la fameuse pelle de boulanger chargée de pains. 

Et pourtant point de pelle sur notre plomb... quid de ce pain rond (c'était donc cela..) que notre saint brandit fièrement ? Bon alors, j'ai ma petite idée... Une petite souris philologue m'a dit que le terme "boulanger" viendrait de l'ancien français bolla signifiant pain rond. Du coup, notre sainte miche serait le produit emblématique de la profession et pourrait même tenir lieu de figure parlante ! Vous trouvez que je m'emballe ? Attendez, c'est pas fini ! la forme circulaire... le pain... ça ne vous rappelle rien ?


             Voilà, vous y êtes. Or, les récits qui peuplent la vie de saint Honoré racontent qu'un jour, alors qu'il célébrait la messe de Pâques, la main du Christ apparut, se saisit d'une hostie et lui donna la communion. Une évocation de ce miracle ? Cela se peut.
             En outre, la présence de ce pain rappelle le rôle du boulanger dans la fabrication du pain eucharistique tout en signifiant la dimension symbolique du pain dans ces sociétés chrétiennes médiévales. Ainsi, les rinceaux présents dans le champ évoquent certes le "miracle de la pelle" mais sont également une image de la vie, tant matérielle que spirituelle, tout comme le pain.


***

Ceci étant dit, passons à la face B. La scène est ici profane. Elle présente un artisan boulanger, en tenue de travail et étrangement coiffé d'une petite toque garnie d'une plume (je vous le dis tout de suite, je n'ai pas d'explication à cela). Représenté dans son activité quotidienne, l'artisan apparaît ici enfournant une pelle (ou fourgon) chargée de deux pains dans un four rond. Comme sur le revers, le champ est orné de rinceaux.
              

De quoi s'agit-il ? C'est là qu'une petite définition du méreau s'impose... et on ne soupire pas au dernier rang...


              
Le méreau est un objet monétiforme, terme barbare s'il en est signifiant qu'il adopte la forme d'une monnaie sans pour autant en avoir les fonctions. Durant le Moyen Âge, il tenait lieu de jeton, de bon-pour ou encore de ticket, si on veut lui donner des équivalents actuels. Ce type d'objet apparaît probablement au XIIe siècle mais son usage ne se développera véritablement qu'aux XIVe et XVe siècles où on lui connaît pas moins d'une vingtaine de fonctions. 
              Produit par des personnes privées ou des collectivités d'ayant pas le droit de battre monnaie, il pourra être utilisé comme pseudo-monnaie, sans valeur réelle mais déterminée par des conventions locales. Distribués aux chanoines ou aux prêtres, les méreaux attestent de la présence aux offices (au cas où il viendrait à l'esprit de certains malinoux de sécher les vêpres...) ; les méreaux ecclésiastiques peuvent également être distribués aux pauvres qui peuvent les échanger contre des biens en nature ( de la nourriture, bande de vicieux...). Ces pièces peuvent également servir d'attestation et de règlement d'un travail ou encore d'un péage. On connaît également des méreaux de compte, utilisés pour les opérations comptables, et des méreaux de jeu.

         Les corporations de métiers, quant à elles, éditaient toutes sortes de méreaux. Certains étaient offerts comme signe d'admission dans la communauté, d'autres étaient distribués lors de fêtes laïques ou religieuses afin d'être échangés contre des rafraîchissements (glissons sur les écarts gastronomico-éthyliques qui ponctuaient annuellement la fête du saint patron...). Enfin, certaines pièces, d'un plus petit diamètre servaient de jetons de contrôle, délivrés après inspection des maîtres jurés.
La plupart cependant étaient utilisés comme jeton de présence aux assemblées de la corporation et devaient être remis à l'entrée dans la salle. On peut donc supposer que notre méreau, daté du XVe siècle, a été coulé à cette fin. La fonction de l'objet est donc peu ou proue établie, mais son intérêt ne s'arrête pas là...
               L'ensemble des méreaux de corporation utilisés dans un contexte laïc (à distinguer des méreaux émis dans le cadre de confréries religieuses liées aux métiers) présentent une face à décor religieux, figurant généralement le saint patron, et une face à décor profane que l'on orne de l'emblème de la corporation. Cette coutume participe du mouvement de vulgarisation de l'héraldique qui caractérise la fin du Moyen Âge. Corporations, artisans et marchands se dotent de sceaux, des blasons, de bannières où s'affiche l'emblème, le signe conventionnel, qui dira leur identité, leur vertus ou leur fonction. 
Méreau de la corporation des tailleur de robes
Emblème : la paire de ciseau
                La plupart des corporations orneront leurs méreaux des outils les plus représentatifs de leur profession ou encore des produits qui les caractérisent le plus. Les boulangers parisiens, eux, choisissent de mettre à l'honneur le geste de l'artisan.

            On peut envisager qu'il s'agit là d'un choix par défaut, le produit (le pain) étant en soit peu identifiable de même que l'instrument. La présence du four et du fourgon permettrait de caractériser à coup sûr la profession. Mais cette hypothèse n'épuise pas les significations de l'image. Ne peut-on pas voir ici une mise en oeuvre des valeurs chrétiennes du travail ? Cette image n'exprime-t-elle pas une certaine fierté de l'artisan, conscient du caractère vital de son activité au sein de la ville ? Le savoir-faire se traduit ici non pas par la ressemblance du produit fini ou par la justesse de l'outil mais bien par l'attitude et la maîtrise du geste. La question reste pleinement ouverte et je crois savoir à quoi vont se consacrer mes neurones dans les jours à venir.... Affaire à suivre.



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